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Parcours d'infos - 28 juin 2023

C'est qui ?

Alexandra Willems et le Dr Isabelle Melki

Alexandra Willems et le Dr Isabelle Melki

Le Dr Isabelle Melki et Alexandra Willems, responsables des questions d'errance et impasse diagnostiques à la filière FAI²R

FAI²R est la Filière de Santé Maladies Rares pour les maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares. Comme les autres Filières de Santé Maladies Rares, elle a pour but de fédérer les ressources et expertises dans le but de faciliter le parcours de soin, le diagnostic et la prise en charge des personnes malades. Comme les autres Filières, elle est l'un des acteurs clés du Plan National Maladies Rares 3 pour réduire l'errance et l'impasse diagnostiques. Le Dr Isabelle Melki, Coordonnatrice de la Commission « Errance et impasse diagnostiques » de FAI²R et Alexandra Willems, Chargée de mission errance et impasse diagnostiques de la Filière jusqu'à avril 2023*, nous éclairent sur ces enjeux et sur les actions menées pour réduire cette errance et cette impasse.

Maladies Rares Info Services : Isabelle et Alexandra, vous formez ensemble le binôme responsable des questions d’errance et d’impasse diagnostiques à la Filière de Santé Maladies Rares FAI²R. Pour débuter cet entretien, pouvez-vous présenter votre parcours à nos lecteurs ?

Dr Isabelle Melki : Je suis pédiatre à l’Hôpital Robert Debré depuis 2012, avec une spécialisation en rhumatologie. Cette spécialisation m’a naturellement conduite à travailler sur les maladies rares puisque presque toutes les maladies rentrant dans le champ de la rhumatologie pédiatrique sont des maladies rares. Ainsi les principales maladies rencontrées dans ma pratique sont les arthrites juvéniles idiopathiques, le lupus pédiatrique, la dermatomyosite juvénile et les maladies auto-inflammatoires. Je fais partie de l’équipe du Centre de référence des Rhumatismes Inflammatoires et Maladies Auto-Immunes Systémiques Rares de l’Enfant (RAISE) de l’hôpital Robert Debré, un des centres experts fédérés par la filière FAI²R. J’ai également une activité de recherche et ai consacré ma thèse de sciences aux interféronopathies de type 1. J’ai participé aux travaux de FAI²R dès la création de la filière, notamment dans le cadre des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP – réunions qui permettent d’examiner les dossiers soumis par des médecins qui suivent des patients atteints d’une pathologie auto-immune ou auto-inflammatoire rare et qui sollicitent une expertise pointue sur le diagnostic ou la prise en charge). En 2019, lors de la mise en place de la Commission « Errance et impasse diagnostiques », j’ai volontiers accepté la proposition du Pr Eric Hachulla, Coordonnateur de la Filière, d’en assurer la coordination.

Alexandra Willems : Après un parcours d’ordre administratif, j’ai travaillé une première fois pour FAI²R en 2015. J’ai été beaucoup portée par le dynamisme des médecins de la Filière, et notamment du Pr Hachulla : je suis tombée dans la marmite des maladies rares. Aussi, j’ai saisi l’opportunité de rejoindre de nouveau la filière en 2018 en tant que Chargée de missions. Dès 2019, celles-ci se sont concentrées sur la question de l’errance et de l’impasse diagnostiques, grâce aux moyens qui ont été mis en place par FAI²R pour pouvoir véritablement investir sur ce sujet.

Maladies Rares Info Services : Pouvez-vous nous repréciser les notions d’errance et d’impasse diagnostiques. Quels enjeux représentent-ils ?

Dr Isabelle Melki : Il s’agit de notions complexes mais on peut schématiquement les définir de la façon suivante : l’errance correspond au parcours des personnes qui ont une maladie rare non diagnostiquée avant d’arriver dans le centre expert approprié. L’impasse diagnostique concerne les personnes prises en charge en centre expert mais qui, au bout de 2 ans après leur arrivée dans le centre, n’ont pas de diagnostic posé, en ayant effectué tous les examens préconisés. S’agissant des maladies auto-immunes et des maladies auto-inflammatoires, l’errance peut être très courte dans le cas de maladies à forte expression qui vont vite entraîner une orientation vers un centre expert, tandis que dans le cas de maladies plus insidieuses elle peut être beaucoup plus longue.

Alexandra Willems : l’errance et l’impasse diagnostiques ont un très fort retentissement dans le quotidien des personnes malades. Être dans le flou peut générer beaucoup de souffrance. C’est d’autant plus vrai chez les adultes, aux maux desquels on aura plus tendance à imputer des causes psychologiques, alors que les enfants sont plus écoutés et plus vite bien orientés. Chez l’adulte, lorsque les symptômes ne « collent » pas à un tableau classique, et que le mot « dépression » a été évoqué une première fois, la symptomatologie sera fréquemment rattachée à ce versant psychologique et la durée d’errance en sera d’autant plus longue. Le patient adulte mettra plus de temps également à reconsulter son généraliste, refusant de s’écouter, ou d’accepter sa maladie.

Maladies Rares Info Services : Comment le travail sur l’errance et l’impasse diagnostiques a-t-il été initié par FAI²R et quelles sont les principales actions menées ?

Alexandra Willems : la filière s’est toujours appuyée sur un grand nombre de commissions de travail pour ses actions car elle a la chance de pouvoir compter sur l’implication de nombreux médecins. Lorsque le 3e Plan National Maladies Rares a été lancé en 2018, avec pour axe majeur la réduction de l’errance et de l’impasse diagnostiques et comme action la mise en place d’un observatoire du diagnostic, la filière s’est emparée de ce sujet au travers d’une commission dédiée qui pilote les actions menées par FAI²R au titre de l’observatoire du diagnostic. Notre commission « Errance et impasse diagnostiques » a une composition variée, avec des médecins pour enfants et des médecins pour adultes, un médecin biologiste, un chercheur spécialiste de l’intelligence artificielle et un représentant des associations de patients.

Dr Isabelle Melki : notre action phare en matière de lutte contre l’errance diagnostique est le projet des Clés du diagnostic, un outil interactif à destination des médecins généralistes et pédiatres de ville pour guider la prise en charge et le diagnostic des patients dans leur parcours de soins. L’idée est née des propositions des associations de patients que nous avions interrogées sur les moyens pour limiter l’errance. Celles-ci nous ont suggéré d’informer les médecins généralistes et les pédiatres de ville sur le fait que certains signes cliniques, parfois fréquents, pouvaient être une porte d’entrée dans les maladies rares. Aussi, nous sélectionnons au fur et à mesure les signes cliniques les plus fréquents parmi les maladies rares de la filière, par exemple la fièvre trop fréquente chez l’enfant ou l’acrosyndrome (anomalie de la microcirculation sanguine). Pour chaque signe clinique, nous développons un guide de la démarche diagnostique qui, schématiquement, consiste à rechercher d’abord les maladies non rares puis, en cas d’élimination de ces hypothèses, à orienter vers les Centres de référence et les Centres de compétence maladies rares de proximité. Sur les conseils des associations et des médecins consultés, nous avons rendu ces guides disponibles en ligne et de façon interactive, sur le mode du Pas à Pas, en quelques clics. 5 Clés, correspondant à 5 signes cliniques différents, sont d’ores et déjà disponibles. Dans un autre registre, FAI²R contribue à un projet de recherche mené dans le cadre de la Chaire de recherche en économie de la santé Hospinomics, visant à mieux comprendre les facteurs socioéconomiques qui peuvent avoir une incidence sur l’errance diagnostique.

Alexandra Willems : Un autre volet primordial, tant pour lutter contre l’errance que pour réduire l’impasse diagnostique, est la saisie anonymisée des données concernant les patients suivis par les centres experts dans la Banque Nationale de Données Maladies Rares (BNDMR). Grâce à ces données, il va être possible à la fois d’analyser les facteurs de l’errance (par exemple faire le constat que l’errance serait plus longue dans certains territoires faute d’un maillage insuffisant en centres experts) et de faire reculer l’impasse diagnostique (par exemple en identifiant un ensemble de patients concernés par une même symptomatologie associée à une même anomalie génétique, permettant in fine l’identification d’une nouvelle maladie.). Pour cela, il est primordial que les dossiers des patients suivis dans les centres de la filière soient effectivement et qualitativement saisis dans l’application de la BNDMR, BaMaRa. C’est pourquoi FAI²R compte en son sein 4 attachées de recherche clinique réparties sur le territoire, dont le rôle est d’accompagner les centres pour la saisie dans BaMaRa. Cela implique aussi de travailler en lien étroit avec les centres de recherche, au niveau national mais aussi au niveau européen et au niveau international. Par ailleurs, toujours dans le cadre de la lutte contre l’impasse diagnostique, FAI²R mène une veille scientifique relative aux nouvelles maladies rares identifiées à l’international, qui pourraient être diagnostiquées chez certains patients en situation d’impasse diagnostique.

Maladies Rares Info Services : Quels sont les premiers résultats des actions menées par FAI²R en matière d’errance et d’impasse diagnostiques ?

Dr Isabelle Melki : un des premiers résultats est l’apprentissage mutuel permis par la mise en réseau, au sein de FAI²R, à la fois de centres experts spécialisés pour la prise en charge des enfants et de centres experts spécialisés pour la prise en charge des adultes. Les approches diagnostiques des uns viennent nourrir celles des autres. C’est ainsi qu’apprenant des diagnostics chez les enfants, on diagnostique parfois chez des adultes des maladies génétiques alors que par le passé on n’aurait pas nécessairement recherché des causes génétiques chez l’adulte. Un autre constat est que les réunions de concertation pluridisciplinaire permettent de limiter l’errance diagnostique pour les adultes. Autre motif de satisfaction, les Clés du diagnostic nous valent des retours positifs des associations de patients, des médecins et des étudiants en médecine. Elles sont de plus en plus consultées et le projet est désormais porté en inter-Filières, avec d’autres Filières de Santé Maladies Rares qui contribuent à l’élaboration de nouvelles Clés.

Alexandra Willems : le travail de collecte et d’analyse des données de la BNDMR est une action de très longue haleine, il est encore trop tôt pour évaluer son impact. Mais l’on peut déjà se féliciter de l’évolution considérable du nombre de dossiers saisis, grâce au travail de nos attachés de recherche clinique. Ainsi, ce sont 6000 dossiers qui ont été saisis en 2021 et 10000 qui ont été saisis ou revus en 2022.Notre objectif est que la qualité de la saisie actuelle permette d’évaluer plus finement des données importantes pour limiter l’errance et l’impasse diagnostiques à l’avenir et mettre en place des actions pratiques à cet effet.

Maladies Rares Info Services : le 3e Plan National Maladies Rares arrive prochainement à échéance. L’errance diagnostique est l’un des grands sujets identifiés par les associations de personnes malades et les acteurs de la Plateforme maladies rares pour un 4e plan national maladies rares. Quelles sont selon vous les perspectives futures ?

Alexandra Willems : Un des enjeux majeurs est d’instaurer la culture du doute chez les médecins de ville. Il faut que ceux-ci n’hésitent plus à pousser la porte « maladies rares ». Maladies Rares Info Services est une des ressources pour cela. Les Clés du diagnostic en sont bien sûr une autre. Les Filières vont collectivement en augmenter la production. Il est également essentiel de mieux comprendre les impacts psychologiques et psychiatriques de l’errance. Un projet est d’ores et déjà amorcé avec les Filières BRAIN-TEAM et DéfiScience ainsi que des psychiatres d’enfants et d’adultes, pour évaluer si, derrière la maladie psychiatrique (et notamment la dépression) ne se cachent pas en réalité des signes de maladies rares. Il conviendrait aussi de travailler sur l’annonce du diagnostic et comment accompagner les patients dans cette étape au retentissement important, après souvent un parcours d’errance déjà éprouvant.

Dr Isabelle Melki : L’intelligence artificielle va très probablement nous ouvrir des perspectives dans les années à venir. Outre l’impact concret que cela pourrait avoir en termes de réduction de l’errance et de l’impasse diagnostiques et, plus largement, de développement de la médecine personnalisée, cela permettra aussi aux soignants de libérer du temps qu’ils pourront mettre au service du soin et de l’humain. Je suis aussi convaincue du rôle clé de l’interdisciplinarité, de l’intelligence collective, notamment avec le développement de RCP inter-filières pour le bénéfice des patients. 

Interview réalisée par Céline Simonin

Pour aller plus loin :

 

* les deux chargées de mission en charge des questions relatives à l’errance et à l’impasse diagnostiques et des Clés du Diagnostic au sein de la filière FAI²R sont dorénavant Virginie Lucas et Christelle Declercq.

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